Neurodiversité · février 2, 2019

« Tu peux pas y aller. Tu feras pipi dans tes culottes »

« Tu peux pas y aller. Tu feras pipi dans tes culottes »

Non. Cette phrase n’a pas été entendue par un prisonnier condamné à l’isolement. Ni dans une ancienne époque. Ni dans un pays lointain.

Non. C’était à l’école. Une école secondaire québécoise en 2018-2019.

Je ne sais pas si vous êtes surpris.
Moi, je suis plutôt indignée et impuissante.

« Coudonc ça va-tu mal dans l’monde
Ou ben y’a juste moé qui capote » Dédé Fortin

L’un des témoins, un ado de cette classe, m’a répété d’autres phrases de la part de cette professionnelle : « Vous êtes stupides, ce n’est pas moi qui suis stupide », « Personne ne sortira si moi je ne sors pas », « Pourquoi tu n’as pas vomi avant la classe? », « Ce n’est pas de ma faute tes remèdes… », « le prochain qui fait tomber un objet ira aux relais », « tu souris? va t’assoir au fond »

« Bien qu’elle a dit de moi que j’ai un bon comportement, je suis toujours stressé dans la classe, je n’arrive pas à me concentrer, j’ai peur de poser une question, j’ai peur de bouger, je vois de l’injustice contre mes amis et je suis triste pour mes notes… avant, j’avais toujours plus de 80 dans cette matière, maintenant j’ai à peine un peu plus de 60… ça me décourage, je me sens dans une prison… j’ai pensé à décrocher et même à mourir parce que vivre dans la peur ce n’est pas une belle vie » m’a aussi dit.

Maltraitance ?

« Vous dites :
C’est fatigant de fréquenter les enfants.
Vous avez raison.
Vous ajoutez :
Parce qu’il faut se mettre à leur niveau, 
se baisser, s’incliner, se courber, se faire petit.
Là vous avez tort.
Ce n’est pas cela qui fatigue le plus.
C’est plutôt le fait d’être obligé 
de s’élever jusqu’à la hauteur de leurs sentiments.
De se hisser sur la pointe des pieds
pour ne pas les blesser. » Janusz Korczak

Avant de continuer, j’aimerais exprimer ma solidarité et ma reconnaissance envers les professionnels de l’éducation. Je salue le travail extraordinaire, qui malgré les conditions difficiles, fait par la majorité des enseignants. Mon fils a la chance actuellement d’en avoir certains qui sont en train de le marquer positivement. Donc, mon texte ne veut pas blâmer les profs et je n’aime pas les généralisations non plus.

Pourtant, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une minorité qu’on doit fermer les yeux. Et ce n’est pas parce qu’un adulte est épuisé qu’on va justifier et accepter ce type de gestes.

Qu’est-ce que vous feriez si votre employeur vous interdit d’aller aux toilettes et il vous répond de faire pipi dans vos culottes?
Vous allez sûrement vous plaindre, et avec raison.
Pourquoi pas alors quand il s’agit d’un élève?

Ce n’est pas une question de droit d’aller aux toilettes non plus. Il est une question de respect de droits. J’ai entendu des histoires des élèves trainés par terre, des élèves punis parce qu’ils pleurent, des élèves qu’on fait taire avec un cri de menace, des élèves dont un prof se moque, des élèves intimidés par un adulte. Et quoi dire des élèves avec des fonctionnements divergents, il peut être encore plus fréquent en raison de leur vulnérabilité et le manque d’information. La maltraitance à l’école existe encore, subtilement ou explicitement. On l’appelle « corriger ».

Conséquences

Je ne veux pas dénoncer ici une enseignante qui abuse de son pouvoir. Je dénonce l’abus de pouvoir et l’acceptation de ce qui est inacceptable. Ces gestes de violence : insulter, ridiculiser, menacer, soumettre, humilier, trainer par terre, presser le bras, utiliser la force sur le corps d’un élève, claquer la porte, lancer un objet vers le vide, jeter un dessin, etc. tout dans le but de marquer une position de supériorité ou faire peur. L’autorité par la peur.

Est-il nécessaire de faire la liste de conséquences graves sur l’enfant qui subit cette violence de manière directe ou indirecte? Des experts nous ont fait savoir que cela pourrait se traduire de manière immédiate et/ou à long terme par divers problèmes de santé, entre autres, l’anxiété, la dépression et le stress post-traumatique. D’ailleurs, nous avons lu ce matin l’article éditorial du journal Le Devoir « Des statistiques dépeignent une jeunesse en détresse au Québec : 29 % des jeunes du secondaire vivent une détresse psychologique et 17 % souffrent de troubles anxieux, avec un recours aux psychotropes alarmant. L’ajout projeté de professionnels dans les écoles est une bonne nouvelle, mais ne faudrait-il pas mieux comprendre les causes de ces angoisses précoces?? Il semble que cela est urgent. »

Je peux continuer à citer, mais je garde celui-là :

« La cause des problèmes émotifs ou comportementaux d’un élève est souvent attribuée à certaines de ses caractéristiques personnelles — tempérament, trouble neurologique — ou à son environnement – famille perturbée, milieu social défavorisé. On remet rarement en question la qualité? des services offerts par l’école et l’utilisation de certaines approches disciplinaires qui font encore trop appel davantage au contrôle, à la punition et à la coercition qu’à l’éducation. » Royer, 2019, page 21.

Nos approches

Alors pour quelles raisons certains enseignants se permettent-ils (ou elles) d’imposer le régime de la peur devant l’œil silencieux de la direction et des fois aussi des parents? Pourquoi pas une approche de bienveillance et constructive? Pourquoi n’en parlons-nous presque pas?? Pourquoi quand nous le faisons, échangeons-nous des témoignages en privé, avec une certaine crainte, comme si c’était nous qui devions en avoir honte? Pourquoi choisissons-nous de nous taire?

En ce qui concerne les élèves, sont-ils conscients que les adultes n’ont pas le droit de les blesser? Est-ce que les élèves connaissent leurs droits et se sentent à l’aise de dénoncer?
Je m’en doute.

Nos enfants ont le droit de connaître leurs droits.

De plus, des formations, sur le thème de la violence, devraient être offertes gratuitement, pour tous, adaptées selon l’âge. Dans les écoles aussi, en forme d’activités variées et agréables. De cette façon, nous, la population entière, serions mieux outillés pour reconnaitre la violence et pour ne pas l’utiliser nous-même. Nous allons savoir aussi quoi faire.

Et nos enfants pourront enfin exercer le droit de se défendre, toujours avec du respect, par des mots et calmement :

Tu n’as pas le droit de me blesser

Convention relative aux droits de l’enfant

La violence éducative ordinaire affecte la qualité de vie des jeunes et des moins jeunes, mais également la structure de leur cerveau

http://www.unicef.ca/sites/default/files/imce_uploads/UTILITY%20NAV/TEACHERS/DOCS/GC/CRCPosterFR_FA.pdf

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