Autisme / Neurodiversité · juillet 8, 2024

Et si nous écoutons la Nature ?

Et si nous écoutions la Nature ?
Par Lucila Guerrero
Article publié dans la revue Aut’rement No.1 Printemps 2022, Aut’Créatifs

De l’inspiration autour d’un souper

— Si tu devais écrire sur la nature, qu’est-ce que tu écrirais?

— Pourquoi tu me demandes ça?

— Ben, je cherche de l’inspiration. Je dois écrire au sujet de la nature, mais il n’y a pas de consignes pour me guider, et la nature est tellement vaste, tu sais… La nature, ce n’est pas que les plantes, les animaux et les étoiles : toi et moi, nous sommes aussi la nature.

— J’écrirais sur le manque de respect de la nature.

— OK. Dans le sens de prendre soin de la planète? Le climat? Les animaux?

— Peut-être… Je voulais dire des humains. Mon prof d’histoire nous a parlé cette semaine d’un livre, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Des bébés recevaient un choc électrique lorsqu’ils s’approchaient des livres et des fleurs. De ce fait, en grandissant, ils seraient disposés à détester les livres et les fleurs sans se souvenir du mal subi.

— Oh! Oui, j’ai lu ce livre. C’était épouvantable… On créait des classes humaines supérieures et inférieures, et les êtres humains étaient « fabriqués » en série, programmés à accepter leur niveau hiérarchique et à réaliser un type de travail. Bref, on décidait du sort de chacun dès la naissance… Une chose horrible.

— Ça n’est jamais arrivé pour de vrai n’est pas?

— EEK! Non! Imagine-toi!

Cette conversation entre mon fils et moi, pendant le souper, s’est orientée vers d’autres sujets, comme d’habitude. Normalement, les repas ensemble sont des moments magiques de partage d’idées, de ressentis, d’opinions, d’expériences et d’informations. D’ailleurs, mon cellulaire et mon ordinateur portable représentent des alliés précieux pour trouver immédiatement certaines réponses à nos questions.

— Ah! Je commence à pratiquer Un hada, un cisne de Sui generis[1], tu la connais?

— Hum, non… J’aime Sui generis mais je ne connais pas celle-là… Attends, je la cherche!

Évocation

 Cette section décrit des événements de violence envers les personnes autistes qui pourraient être difficiles à lire. 

Pourtant, une émotion désagréable associée à l’horrible idée des bébés conditionnés et programmés reste dans ma tête. Bien sûr, cela me rappelle inévitablement l’histoire des autistes, notre histoire qui, en réalité, ne fait pas complètement partie du passé.

Tout d’abord, ceci évoque les chocs électriques ainsi que les punitions violentes utilisées par un certain Loovas — un homme assurément sans empathie, mais respecté —dans le cadre d’un programme expérimental pour conditionner le comportement des enfants autistes et briser ce qu’il nommait « les habitudes de folie »[2]. Bien que cela date des années 60, cette idéologie, aspirant à « réparer » l’autiste par le conditionnement, est encore existante, et les chocs électriques aussi. Effectivement, au Judge Rotenberg Center, aux États-Unis, une cinquantaine d’étudiants, autistes ou en situation de handicap, portent un dispositif de décharge électrique attaché à leur corps. Lorsque la personne présente un « mauvais comportement », à savoir, battre des mains, faire des petits bruits, se mettre débout ou crier de douleur, elle reçoit une décharge activée par télécommande[3][4]. Bien que ce type de torture soit dénoncé depuis plusieurs années par des défenseurs des droits humains, des militants de la neurodiversité et d’autres regroupements, cette mesure inhumaine est encore pratiquée.

La perspective de la déficience

L’histoire nous montre une perspective focalisée sur ce que les autistes ne font pas selon certaines normes. Elle nous apprend également que ces divergences ont été signalées comme des déficiences à corriger. Ainsi, la recherche ne s’intéressait pas à l’origine d’un comportement ni à l’étude des forces des autistes. En plus, ces analyses étaient le fruit des interprétations subjectives des chercheurs, sans avoir consulté les autistes, qui étaient à leurs yeux peu crédibles, moins humains ou incapables. Être autiste était une tragédie, un mal ou une honte. Par conséquent, diverses thérapies incluant des mesures correctives ont été appliquées afin de combattre les caractéristiques de la personne autiste et de la rendre plus « normale »[5], plus « acceptable ». Malheureusement, cette vision persiste socialement, ainsi que les propositions de thérapies et les traitements pour « guérir » l’autisme et pour « normaliser » l’autiste. Plus grave, des études sur le dépistage génétique de l’autisme avant la naissance se réalisent, avec l’acceptation des comités d’éthique, sans tenir compte du fait que cela risque de favoriser une forme d’eugénisme[6][7].

Cependant, les conséquences de ces approches peuvent être désastreuses pour les autistes. Par exemple, des théories décrivant la personne autiste comme un être manquant d’empathie, de créativité, d’émotions ou d’intérêt social, ont engendré des interventions ayant pour but d’enseigner des comportements conventionnels aux autistes. Ces méthodes peuvent s’avérer une forme de violence lorsqu’elles portent un message de rejet envers une façon naturelle d’être, avec l’objectif de la cacher ou de la supprimer, ou bien qu’elles cautionnent une approche sévère, autoritaire et irrespectueuse. Ainsi donc, elles peuvent provoquer des blessures psychologiques importantes qui peuvent subsister pendant de longues années. L’une de ces conséquences terribles est l’atteinte portée à l’estime de soi, à la confiance en soi et au bien-être. À savoir, la stigmatisation intériorisée, qui peut amener à l’émergence de conditions telles que la dépression, l’anxiété, le stress post-traumatique et même la suicidalité[8][9]. Tout cela au nom d’un idéal de norme.

La perspective de la Nature

Nonobstant, la Nature s’oppose à la normalisation. « La nature hait la normalité », exprimait Chris Carter, scénariste. La Nature déploie une diversité infinie d’éléments, de lois et de formes de vie que nous n’avons pas terminé de comprendre. De nos jours, nous sommes appelés à protéger la biodiversité et à prendre soin de notre planète, alors pensons aussi à protéger les êtres humains, puisque l’humanité entière fait, elle aussi, partie de cette merveilleuse diversité. En effet, chez l’espèce humaine nous trouvons plusieurs variations qui s’expriment par la diversité de genre, la diversité capacitaire, la diversité ethnique, la diversité culturelle, la diversité corporelle, la diversité neurologique ou neurodiversité, et autres. Ainsi, le caractère unique de l’être humain est une réalité naturelle incontestable.

En ce qui concerne le terme neurodiversité, il fait référence à la diversité des cerveaux et des esprits de l’humanité. Il représente aussi un mouvement politique et  social, initié par des militants autistes, qui ajoute une catégorie d’intersectionnalité pour mieux analyser les questions d’inégalité et de discrimination des minorités neurologiques[10]. Le mouvement pour la neurodiversité cherche à construire une société inclusive qui reconnaît et valorise le potentiel de chaque personne afin de favoriser son développement dans le respect de sa manière naturelle d’être[11]. Ainsi, le modèle de la neurodiversité continue à évoluer grâce à l’apport des partisans. Il propose une nouvelle vision pour reconnaître la diversité humaine et pour laisser place à l’acceptation de l’être humain tel qu’il est, il nous incite à faire une révision approfondie, entre autres, de nos croyances, de nos approches, des politiques, de la terminologie, du transfert de connaissances, de la recherche et de nos relations interpersonnelles,  et ce dans tous les domaines.

Et si nous écoutions la Nature?

Selon ce qui précède, je pense que nous devons commencer par accepter les formes de diversité et les comprendre comme une richesse à protéger. Nous devons aussi admettre qu’il n’y a pas qu’une seule manière de vivre, ni de s’exprimer, ni d’agir, et que la beauté de l’humanité réside précisément dans sa diversité infinie. Tout comme la Nature, qui est diverse, hétéroclite, hétérogène : c’est ce qui fait sa beauté. En le faisant, nous pourrions réduire ce jugement désapprobateur sur ce qui ne ressemble pas aux normes que nous connaissons. C’est-à-dire que nous pourrions réduire la stigmatisation grâce à l’acceptation de l’individu tel qu’il est, et grâce à la reconnaissance des forces et des besoins. Cela pourrait finalement se traduire par des relations interpersonnelles plus harmonieuses et par la construction de systèmes sociaux et de services plus inclusifs, reconnaissant des droits de la personne en tant qu’être humain à part entière et au profil unique.

Plus précisément, en autisme, cela signifie : reconnaître la valeur des autistes en tant qu’êtres humains à part entière, utiliser une approche respectueuse, cibler leurs forces, valider leurs messages, leurs gestes, reconnaître leur vécu expérientiel ainsi que leurs besoins et, naturellement, inclure les autistes dans toute initiative qui concerne l’autisme. À vrai dire, je pense que les retombées de l’acceptation des autistes peuvent être considérables dans l’évolution de notre société. Imaginons donc un monde où nous, les autistes, aurions une place et une vie plus heureuse en accord à notre façon naturelle d’être. Puis, agissons pour que cela devienne, progressivement, une réalité.

N’oublions pas que la Nature est merveilleuse, immense et sage.


[1]     Sui generis est l’un de plus importants groupes du rock argentin. Sui Generis. (2021). Dans Wikipedia. Repéré à https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Sui_Generis&oldid=1052709514

[2]     Life Magazine. (1965). Neurodiversity.com | screams, slaps & love. Repéré à http://www.neurodiversity.com/library_screams_1965.html

[3]     Neumeier, S. M., & Brown, L. X. (2020). Torture in the name of treatment: The mission to stop the shocks in the age of deinstitutionalization. Autistic Community and the Neurodiversity Movement (pp. 195-210). Palgrave Macmillan, Singapore.

[4]     Network, A. S. A. (2020, 25 juin). #StopTheShock?: The Judge Rotenberg Center, Torture, and How We can Stop It. Autistic Self Advocacy Network. Repéré à https://autisticadvocacy.org/actioncenter/issues/school/climate/jrc/

[5]     Pellicano, E., & den Houting, J. (2021). Annual Research Review?: Shifting from ‘normal science’ to neurodiversity in autism science. Journal of Child Psychology and Psychiatry. https://doi.org/10.1111/jcpp.13534

[6]     Ramirez-Celis, A., Becker, M., Nuño, M., Schauer, J., Aghaeepour, N., & Van de Water, J. (2021). Risk assessment analysis for maternal autoantibody-related autism (MAR-ASD)?: A subtype of autism. Molecular Psychiatry, 1-10. https://doi.org/10.1038/s41380-020-00998-8

[7]     Delacour, E. (2021, 18 février). Dépistage de l’autisme par l’IA?: Un bourbier éthique. CScience IA. Repéré à https://www.cscience.ca/2021/02/18/depistage-de-lautisme-par-lia-un-bourbier-ethique/

[8]     Den Houting, J., Botha, M., Cage, E., Jones, D. R., & Kim, S. Y. (2021). Shifting stigma about autistic young people. The Lancet Child & Adolescent Health.

[9]     Botha, M., & Frost, D. M. (2018). Extending the Minority Stress Model to Understand Mental Health Problems Experienced by the Autistic Population. Society and Mental Health. https://doi.org/10.1177/2156869318804297

[10]  Singer, J. (n.d.). Reflections on the Neurodiversity Paradigm?: What is Neurodiversity? Reflections on Neurodiversity. Repéré à https://neurodiversity2.blogspot.com/p/what.html

[11]  Pellicano, E., & den Houting, J. (2021). Annual Research Review?: Shifting from ‘normal science’ to neurodiversity in autism science. Journal of Child Psychology and Psychiatry. https://doi.org/10.1111/jcpp.13534

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