Est-ce qu’on peut parler de non-autisme pour comprendre les personnes non autistes ? Pour savoir interagir avec eux??
Ma réponse est non. Et probablement aussi la vôtre.
Simplement parce que les non-autistes ne sont pas pareils entre eux.
Bien, les autistes non plus.
Le mot autisme a été créé par le psychiatre Eugen Bleuler. En 1911, il a publié un ouvrage sur la schizophrénie où il utilisait le mot «?autisme?» comme un symptôme et pour décrire la perte de contact avec la réalité. Le mot est donc né dans un contexte médical et de maladie.
Depuis, le concept initial a beaucoup évolué : il est devenu officiellement et cliniquement un trouble et non plus une maladie. (Une petite recherche sur l’histoire de la terminologie concernant à la condition autistique pourra mieux vous informer à ce sujet). Nous constatons également que le sens du mot continue à évoluer. Depuis que les personnes autistes prennent la parole, on entend des nouvelles propositions, déjà acceptées par des spécialistes de certains pays du monde, le changement du mot trouble par condition par exemple.
Pourtant le mot «autisme» reste bien enraciné dans nos expressions pour désigner un groupe et prétendre que des descriptions et des «?recettes générales?» pourraient s’appliquer en masse dans le but de nous aider.
Tu es autiste? Alors, tiens ton ICI, ta classe spécialisée. On te colle automatiquement un titre de trouble, un autre de handicap et d’autres pour tes déficiences. N’ose pas répondre parce qu’on t’ajoutera d’autres troubles.
Si on cherche à faire sortir l’autisme de la pathologie, pourquoi devrait-on continuer l’utilisation d’un mot dans un sens associé étroitement à l’usage médical? En plus qui généralise?
Si la condition autistique fait partie de nos caractéristiques humaines, comme la couleur de la peau, la préférence sexuelle, la forme du corps, le poids ou le pays d’origine, pourquoi devrait-on la nommer de cette façon médicale?
Est-ce que nous disons : le pérouvienisme
ou l’hétérosexualisme ou le brunisme pour parler du fait d’être
péruvien, hétérosexuel ou brun??
Non.
Nous
disons plutôt : il est péruvien. Elle est hétérosexuelle.
Elle est brune.
Donc : Il est autiste. Elle est autiste.
Est-ce que nous disons : mon pérouvienisme
ou mon hétérosexualisme ou mon brunisme pour se décrire comme un
individu péruvien, hétérosexuel ou brun??
Non.
Nous
disons plutôt : je suis péruvien(ne). Je suis hétérosexuel
(le). Je suis brun(e).
Donc : Je suis autiste.
Ensuite, si je dis que je suis péruvienne, vous n’allez pas connaitre les détails de ma personnalité. Si je dis que je suis autiste, c’est pareil. Vous n’allez pas savoir beaucoup sur moi et mes caractéristiques individuelles.
Ainsi, le mot «autisme» généralise. Et nous sommes aussi divers que les non-autistes. La généralisation favorise dangereusement la conception des mythes et préjugés, ce que nous essayons justement de combattre.
Personnellement, ça fait longtemps que j’évite le mot autisme. Sauf dans de rares contextes qui représentent l’exception.
Je propose alors, pour finir, l’utilisation d’une expression plus juste :
la personne autiste.
Tout simplement. Nous serions alors en train de reconnaitre en même temps l’individu. L’être humain. Unique.
Tu es autiste? Alors, parlons de tes caractéristiques, de tes forces et de tes besoins, si tu veux.
Et ça nous amène à la question :
qui a le droit de parler au nom des autistes?
et dans quels circonstances ?
***
Merci, Lucila, pour cette belle et utile réflexion autuor de notre condition. Un moyen de mieux partager la réalité qui est la nôtre en évitant la stigmatisation!
Je suis entièrement d’accord avec la contradiction fondamentale qui existe à l’heure actuelle entre la volonté de démédicaliser l’autisme et le vocabulaire médicalisant qui continue à le décrire. De même je partage l’avis de l’auteur de ce court texte concernant le terme d' »autisme », un terme de plus qui finit en ISME, suffixe qui exprime en premier lieu une situation extrême… extrémiste, et donc un déficit (strabisme, gauchisme, psittacisme…), ou bien une mode (cubisme, expressionnisme…) donc un phénomène superficiel, qui passe (épiphénomène), comme passerait une maladie quand on s’en est guérit. Il n’en va pas autrement des suffixes -iste ou -istique. Par conséquent il serait logique de changer les termes trop médicalisés et/ou trop « istiques » concernant l’autisme, et on peut en proposer plusieurs qui se substitueraient à syndrome, symptôme etc. Et le terme d’autisme alors? Pour être cohérent avec sa propre exigence il faudrait lui enlever son « isme » et le remplacer sémantiquement par un « -té », par exemple: « auteté », se rapportant à des personnes « autes ».
Évidemment ces nouveaux vocables sonnent étrangement; mais il n’en était pas autrement de mots comme « sociologie », « bureaucratie » et j’en passe, jusqu’à ce que ceux-ci acquièrent droit de cité.
Intéressante aventure linguistique, mais pas seulement!