Publié sur Huffington Post le 9 septembre 2020.
https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/etre-autiste-ne-fait-pas-de-moi-une-moins-bonne-mere_qc_5f57c9fec5b646e3366236ce
Certains discours populaires laissent croire qu’un autiste ne peut pas être un bon parent. À plusieurs occasions, j’ai entendu explicitement que nous, les femmes autistes, devrions nous faire stériliser pour éviter de «transmettre» l’autisme à notre progéniture, et qu’en raison de «nos caractéristiques», nous n’avons pas les compétences pour la parentalité.
L’histoire de l’autisme comporte beaucoup de mythes. En ce qui a trait à la maternité, on a déjà considéré que les mères d’enfants autistes étaient froides et coupables de l’autisme de leur enfant, en raison d’un manque d’amour ou d’attention. Dans certains pays, des enfants autistes ont déjà été séparés de leur famille et ont été soumis à des punitions et autres horreurs. Bien que ce ne soit plus le cas aujourd’hui, des mères continuent à vivre des expériences de blâme et se culpabilisent.
Cette idée est déplorable, déshumanisante et fausse. Une étude à ce sujet révèle d’ailleurs que malgré la stigmatisation, l’isolement, les jugements et autres défis, les mères autistes sont résilientes et elles vont mettre en priorité les besoins de leur enfant.
En ce qui me concerne, la maternité était une idée abstraite pour moi. Je n’éprouvais pas, comme beaucoup d’autres femmes, le désir d’être mère. Par contre, comment pouvais-je rêver de devenir une maman si je n’avais pas toutes les informations nécessaires pour comprendre tout ce que la maternité représente?
Je n’avais aucune idée qu’un enfant est la plus belle des merveilles, qu’il peut donner un sens à la vie, le sens qu’on cherche souvent à saisir. Comment pouvais-je songer à devenir maman alors que ma vie allait bien avec une belle relation de couple, des amis et un travail passionnant d’analyste et programmeuse? Le manque d’intérêt à propos d’un sujet qu’on ne connaît pas n’implique pas un manque d’intérêt pour le même sujet une fois qu’on le découvre. La vie peut nous surprendre.
Ainsi, en toute confiance, j’ai laissé la nature décider pour moi, faisant confiance à sa sagesse. Mère nature sait ce qu’elle fait, et finalement, je suis tombée enceinte. En ressentant le doux mouvement de la vie dans mon ventre, j’ai découvert sa beauté. État de grâce qui m’a marquée à jamais. Plus belle et plus humaine. L’amour maternel naissait alors que de nouvelles connexions se créaient en moi.
Je voulais ce qu’il y a de mieux pour mon enfant. Mon bébé Luka dans le bras, j’ai promis à l’univers d’assumer cette responsabilité avec amour et dévotion. Cette promesse en entraînait implicitement une autre: celle de prendre soin de moi pour être forte et exercer tous les rôles encore inconnus. Pour être la meilleure maman.
Donc, ma vie a changé. À partir de sa naissance, chaque étape du développement de mon fils comportait des défis propres à son âge et auxquels il fallait s’adapter. En fait, plus de défis que ce à quoi je m’attendais. Je me demandais très souvent si je faisais bien les choses. Et chaque fois que je devais prendre une décision, je me demandais quel était le meilleur choix à faire. Je pouvais accepter de faire des erreurs qui ne concernaient que moi. Quelles qu’elles soient. Mais commettre des erreurs qui le concernent, lui, m’aurait causé beaucoup de peine.
Alors, je suivais mon instinct et je m’inspirais aussi de ma mère qui m’a toujours soutenue positivement. Ma voix intérieure me dictait de découvrir mon fils jour après jour, d’être émerveillée de ses progrès, de valider ses expériences sensorielles, de répondre à sa curiosité, de respecter ses particularités d’enfant et de mettre en place mes valeurs et mon intuition pour le guider dans son parcours avec l’écoute, la validation, le respect, l’humilité, entre autres.
À ma grande surprise, des gens qui aiment dire que «ceci ne va pas du tout», qu’il faut «changer ceci ou cela» se sont approchés avec des jugements sur mon rôle de mère. On me disait, par exemple, d’ignorer sa détresse, qu’ils interprétaient comme un caprice, ou encore de le punir. On m’a même questionnée sur notre façon de jouer!
Quant à moi, je ne voyais rien d’inquiétant chez mon enfant, je me disais qu’il ressemblait à moi, tout simplement. En plus, j’ai l’habitude d’ignorer des dires à propos de moi, de suivre ma propre raison ou mon propre cœur (selon la situation) et de faire ce que je crois être juste de faire. Sauf que le prix à payer peut être cher: l’isolement.
À l’âge de deux ans et demi, mon fils nous a demandé de l’appeler «Tren Azul» (train bleu) au lieu de son vrai prénom. Désir que j’ai respecté durant presque deux ans, et qui a été le point de départ pour découvrir, plus tard, que nous sommes autistes, tous les deux.
Dans les circonstances, une intense période d’introspection s’en est suivie avec le besoin de mieux me connaître. Toujours accompagnée par mes alliées très chères, l’écriture et la photographie, je me suis découvert dans ce processus des qualités et des valeurs que je ne me soupçonnais même pas, et j’ai compris que malgré ma différence, j’étais une personne très belle intérieurement finalement!
J’ai aussi constaté que j’avais le droit de vivre en accord avec ma manière d’être naturelle, que je n’avais pas à la changer pour plaire aux autres. Que je suis une bonne maman. Et en lisant l’histoire d’autres autistes, j’ai alors réalisé les erreurs et le mal que l’on peut commettre en essayant de normaliser les gens pour les faire entrer de force dans le moule de la conformité. J’ai pleuré en voyant tant d’injustices commises contre des personnes comme moi, tant d’humiliations dévastatrices subies par mes pairs au nom de la «normalité».
Depuis, je suis devenue militante pour la reconnaissance positive de l’autisme. Pour moi et pour les autres également. Je me suis donné le défi de contribuer à la construction d’un monde meilleur pour les autistes, un monde d’accueil et de respect de l’infinie diversité humaine. Pour la recherche de solutions contre la stigmatisation et l’exclusion sociale. Pour notre droit au bonheur. Je veux que la qualité de vie des autistes s’améliore. Après m’être tant questionnée sur le sens de la vie, mes implications pour cette belle cause lui donnent un sens.
En 2020, je célèbre mes 15 ans de maternité! Un parcours tumultueux par époques avec des moments de joie, mais aussi de tristesse et d’impuissance. Principalement face aux différentes formes d’injustice envers les autistes, silencieuses ou bruyantes. Pour ce qui est de Luka, il est devenu un adolescent passionné de musique, de soccer, et désireux d’offrir des conférences pour témoigner sur divers aspects de sa vie. Cette étape apporte certainement de nouveaux défis que j’accepte un à un.
Si on me demandait quel est l’aspect de l’autisme que j’aime le moins, je dirais sans hésiter: ?ce lot de préjugés qui viennent avec ce mot. Pour moi, ce sont les traces d’une histoire injuste. Ce que, comme femme autiste et mère d’un enfant autiste, je connais bien.
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